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Séminaire
Le Séminaire Longues marches, à la durée très brève (automne 2023), a constitué la rampe de lancement de la Revue communiste Longues marches.
On en trouvera ci-suit la présentation détaillée.
2023 : “Pour une intellectualité communiste contemporaine”
Mobiles et motifs du séminaire
Selon Lénine (1913) réinterprétant Kautsky (1908), l’orientation communiste du marxisme s’est constituée en référence à « trois sources » intellectuelles : le socialisme utopique français (Saint-Simon et Fourier), la philosophie dialectique allemande (Hegel et Feuerbach) et l’économie politique anglaise (Smith et Ricardo).
Après l’échec des États socialistes au XXème siècle, l’orientation communiste, aujourd’hui plus que nécessaire et seule capable de faire face aux sombres perspectives du nihilisme contemporain, est confrontée à la question du renouvellement de ses sources intellectuelles.
Posons que deux siècles plus tard, cette orientation communiste se revitalisera en profondeur en puisant à trois nouvelles ressources contemporaines de pensée : la Révolution communiste chinoise (engagée en 1958 dans les campagnes par les Communes populaires et étendue en 1966 aux villes par la Révolution culturelle), la philosophie française des sujets de vérités (de Bachelard à Badiou en passant par Sartre et Lacan) et la pensée mathématique moderne (de Galois à Grothendieck en passant par Riemann, Dedekind, etc.).
Ce séminaire s’attachera à explorer la fécondité intellectuelle de ces trois ressources.
(17-10-2023) F. Nicolas : Trois ressources pour une intellectualité communiste contemporaine
Pourquoi de nouvelles ressources de pensée pour une intellectualité communiste contemporaine ?
- En quoi la Révolution communiste chinoise 1958-1976 (spontanément engagée le dimanche 27 avril 1958 par les paysans du Henan fondant inopinément 1 la toute première Commune Populaire par fusion de 27 coopératives) peut-elle continuer au XXI° siècle d’inspirer une politique communiste ?
Perspective : repenser les tenants et aboutissants des politiques communistes contemporaines.
Cette première révolution proprement communiste de toute l’histoire de l’humanité nous rappelle qu’une politique communiste est révolutionnaire (elle vise à révolutionner l’ensemble des rapports sociaux, tout spécialement de production et d’habitation 2). Et cette révolution (communiste) dans la révolution (socialiste) 2 nous le rappelle en révolutionnant l’idée même de révolution politique puisqu’elle intrique, aux modalités classiques de révolutions par abandon-déplacement ou destruction-reconstruction, une nouvelle modalité, proprement moderne : par adjonction-extension. - En quoi la philosophie française des sujets de vérités (qui s’étend de Bachelard à Badiou en passant par Sartre et Lacan) peut-elle aider les communistes à s’orienter dans la situation idéologique contemporaine ?
Perspective: repenser la dialectique des opérateurs subjectifs et, par là, celle des organisations égalitaires visant une politique de justice.
On commencera aujourd’hui en examinant la puissance de vérité que la philosophie de Bachelard accorde à l’imagination scientifique, à « la rêverie savante » et à « l’erreur rectifiée ». - En quoi la pensée mathématique moderne (de Galois à Grothendieck en passant par Riemann, Dedekind, etc.) peut-elle éclairer l’intellectualité communiste contemporaine ?
Perspective : repenser l’ancrage matérialiste des politiques communistes dans les situations du monde contemporain selon des dialectiques qui ne relèvent plus du reflet, de l’expression ou de la représentation mais d’une autonomisation (émergente, inconsciemment constituée et rétroagissante) entre échelles différentes.
On avancera par exemple l’invention (au début du XIX° par Gauss et Cauchy) des « nombres » complexes qui viennent mathématiquement formaliser les possibilités d’une situation donnée, sans se contenter (comme les mathématiques classiques précédentes) de formaliser, par les nombres réels, leurs effectivités.
Ce faisant, la pensée mathématique éclaire un principe subjectif à l’œuvre dans toute forme d’émancipation : il n’y a pas que ce qu’il y a.
Au total donc, trois ressources de confiance en l’humanité et en ses pensées pour réaffirmer un matérialisme politique de notre temps.
(5-12-2023) A. Rallet : D’une vision classiste à une vision politique de la contradiction ville/campagne
La contradiction entre la ville et la campagne occupe une place centrale dans la caractérisation marxiste du communisme. Elle est décrite par Marx et Engels comme la première grande forme de division du travail. Or la division du travail fonde la division de la société en classes, attise les contradictions au sein du peuple et enferme les individus dans les horizons bornés et aliénants de l’animal humain des campagnes versus l’animal humain des villes. La construction communiste de la communauté implique l’abolition de cette division du travail. C’est le substrat auquel chacun fait référence.
Je distinguerai cependant deux traitements différents de la compréhension de cette contradiction. Le premier repose sur une approche classiste, c’est-à-dire sur la transitivité classe sociale / classe politique / pouvoir. Dans la description qu’en donnent Marx et Engels, le rapport ville/campagne fonctionne comme contradiction motrice dans les sociétés asiatiques, antiques et féodales. À partir du capitalisme, elle fonctionne comme contradiction subordonnée à l’antagonisme de classes. Elle finit par constituer une sorte de décor dans lequel s’affrontent les classes et leurs alliances, soit en fin de compte les stratégies politiques. Une grande attention est en particulier accordée à l’analyse de classe de la paysannerie (paysans pauvres, moyens pauvres, moyens riches, riches) pour nouer l’alliance avec les ouvriers constitués eux comme un bloc monolithe par le rapport d’exploitation. Cette approche s’articule très bien avec la conquête du pouvoir mais n’est pas transitive au communisme comme abolition de l’opposition ville/campagne.
C’est pourquoi il faut partir d’un autre point : la portée politique intrinsèque de cette abolition, son efficacité propre. C’est l’innovation principale apportée par les Communes populaires en Chine à partir de 1958. Alors que la période précédente avait vu la construction laborieuse de coopératives agricoles, les Communes populaires proposent un « faire monde » nouveau avec une distribution nouvelle des pouvoirs, un système évolutif de propriété collective, de nouvelles formes de rémunération du travail dépassant la seule règle « à chacun selon son travail », des formes d’industrie rurale, la gestion d’établissements de santé et d’éducation… Un « faire-monde » nouveau toujours localisé à la campagne mais qui n’est plus le monde campagnard traditionnel.
Partons aujourd’hui ici de cette même idée : la recherche d’une réduction de l’opposition ville/campagne peut avoir une efficacité politique propre. Permettant tout à la fois de se greffer sur les apories actuelles du capitalisme dans ce domaine et de remonter par le travail politique jusqu’aux conditions nécessaires à l’effectuation de cette réduction. Bref remonter de l’espace aux affrontements politiques.
Pour donner une épaisseur propre au rapport ville/campagne, je propose de partir de trois rapports spatiaux : la localisation, la polarisation (concentration/dispersion), l’interpénétration des espaces (ou mise en relation des points). Chacun recouvre une pluralité de questions. La localisation est la manière d’habiter l’espace (localisation de l’habitat, des industries…). La polarisation désigne la manière d’organiser l’espace (repeuplement des campagnes, taille et localisation des villes, inégalités régionales, problème de désertification). La mise en relation des espaces urbains et ruraux soulève les questions de l’alimentation, de l’usage conflictuel des sols, de l’écologie…. Chacun implique des choix politiques portant sur le dépassement de l’opposition ville/campagne.
1 « Certains événement heureux peuvent se produire d’une façon inattendue : c’est le cas des Communes populaires, dont l’apparition en avril n’avait pas été prévue et qui ne furent l’objet d’une décision officielle qu’en août. » Mao (19 décembre 1958)
2 « On ne peut pas dire que le passage au communisme n’est pas une révolution car la substitution d’un rapport de production à un autre rapport de production est un bond qualitatif, c’est-à-dire une révolution. » Mao (1960)
